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Le plus beau jour de votre vie

3/12/15

Imaginez ! C’est le plus beau jour de votre vie ! Vous l’aviez préparé et idéalisé depuis des années. Et vous l’avez lamentablement raté. Vous en êtes persuadé. Vous ressassez ce moment difficile. Vous avez la rage au cœur. Vous ruminez. C’était votre jour, pourtant. Votre moment de gloire. Chaque minute, chaque seconde de cette humiliation est gravée dans votre esprit.
Tout d’abord l’appel :
  • Bonjour ! Vous êtes bien (votre nom) ?
  • Oui, c’est moi. Que puis-je pour vous ?
  • C’est (votre interlocuteur). J’ai le bonheur de vous annoncer que nous vous avons sélectionné. Nous vous attendons pour une prestation Vendredi soir. Tout est organisé. Vous serez disponible, bien entendu ?
Un silence. Vous êtes sous le choc.
  • Allo ?
Votre interlocuteur s’inquiète. Vous êtes figé, hors du temps et de l’espace. Vous vous efforcer de réagir et répondez mécaniquement :
  • Oui ! Bien sûr ! Je serai là, vendredi soir, sans faute.
  • Alors à vendredi soir ! Nous vous envoyons par mail tout le déroulé de la soirée.
Clic ! Vous posez le téléphone. Vous ne savez que penser de cette conversation surréaliste. Vous n’espériez plus. Cela faisait tellement longtemps. Vous avez consacré tant d’efforts pour ce projet. Vous n’avez jamais ménagé votre peine. Vous n’avez jamais hésité à repartir de zéro. Vous n’avez jamais hésité à faire, défaire et refaire les choses. Vous n’avez jamais hésité à vous remettre en question. Vous n’avez pas hésité à travailler avec un tel acharnement que vous êtes persuadé de connaître votre sujet par cœur. Vous n’avez jamais craint d’escalader ou contourner les barrières qui se dressaient devant vous.
Trop souvent, vous avez cru vous battre contre des moulins à vent. Les déceptions ont souvent été amères. Vous ne comptez plus le nombre de fois où vous avez cru atteindre votre but. Systématiquement, au moment crucial, ne poussière venait se glisser dans l’engrenage pourtant si parfait, si bien pensé. Combien de fois avez-vous senti la frustration et la rancune face aux aléas du destin ? Malgré tout, malgré la concurrence, malgré les obstacles, vous n’avez jamais vraiment renoncé. Vous avez continué d’avancer sans réellement y croire.
Petit à petit, la réalité refait surface. Vous prenez enfin conscience de ce que vous êtes en train de vivre. Vous intégrez cette folle réussite. L’idée fait son chemin dans votre esprit. Un sourire se dessine sur votre visage. Vos yeux s’illuminent. Votre rêve va enfin prendre corps. Vous allez enfin pouvoir montrer de quoi vous êtes capable. Vous êtes emporté dans un véritable ouragan de joie. L’émotion est tellement forte que vous en perdez votre capacité à vous exprimer, à exprimer cette merveilleuse nouvelle à vos proches. Dans un bref instant de répit, vous vous empressez d’envoyer à l’un d’eux un lien Internet vers l’annonce officielle. Vous avez vérifié, c’est écrit. Vous savez que radio-potins fera le reste. C’est un mode de communication particulièrement efficace quand les données transmises ne sont pas déformées par les filtres des uns et des autres. L’émotion est beaucoup trop forte pour formuler ce que vous ressentez.
Tout s’embrouille en vous. Vous ne savez plus que penser, que dire ou que faire. Vous avez l’impression de pouvoir déplacer des montagnes, conquérir le monde et bien plus encore. C’est tellement incroyable ! Une énergie infinie s’empare de vous. Même votre rhume semble s’être envolé, comme par magie. Des « Alléluia » résonnent de toutes parts. Vous déambulés d’une pièce à l’autre de votre appartement. Vous êtes prêts à partir errer dans de nouveaux horizons. Vous vous mettez à faire les projets les plus fous. Vous êtes sur un nuage. Déjà, dans votre tête, vous vivez le plus beau jour de votre vie.
Comme prévu, le moyen de diffusion de l’information le plus rapide du monde a fonctionné. Il est carrément plus efficace qu’internet et sans problèmes de connexions. C’est le grand jour. Tout le monde est à pour assister à votre couronnement.
C’est d’un pas léger que vous vous dirigez vers votre destin. Vous avancez au rythme agréable de la musique qui est jouée dans « Le livre de la jungle », quand Mowgli rencontre les éléphants dans leur parade militaire : joyeuse et au tempo très cadencé. Vos pas battent la mesure. La partition se déroule tranquillement, à la bonne mesure, sans aucune fausse note. Les regards glissent sur vous. C’est un véritable bonheur. Vous flottez. Vous êtes un conquérant ou une conquérante. Vous avez même l’impression d’avoir rejoint la troupe bien disciplinée qui suit son général en toute quiétude. C’est un simple exercice. Il suffit d’avancer sans vous poser de questions. Vous êtes le centre d’intérêt. On est venu uniquement pour vous. Vous êtes sur un petit nuage bien douillet et bien enveloppant.
En ce qui concerne votre allure physique. Vous avez suivi les quelques bons conseils apporté par de bonnes âmes bienveillantes. Elles ne tenaient pas à ce que vous soyez ridicule à cause de votre apparence. Elles ne l’auraient pas supporté. Vous leur avez cédé malgré vos convictions. Mais avez réussi à obtenir deux ou trois gains de cause sur certains détails. Vous avez eu le droit de porter une touche de votre couleur préférée. C’est quand même un peu moins tristounet que du noir et blanc ou du gris. Vous participez à quelque chose d’unique et de vivant pas à un enterrement. Vous portez un jean de coupe simple qui vous met en valeur, un chemisier de couleur et dont la forme est à la mode en ce moment. Vous avez une paire de nouvelles chaussures, propres, au cuir flambant neuf. Vous avez également fait un passage obligatoire chez le coiffeur. Vos cheveux en bataille ont été disciplinés. Ils devront tenir le temps de votre merveilleuse prestation. Pour une toute petite fois, vous avez accepté de vous glisser dans la peau de quelqu’un d’autre, quelqu’un qui n’est pas vous. En cours de route, vous réalisez que vous avez omis d’enlever l’étiquette collée sur une de vos manches. Vous faites en sorte de l’enlever discrètement. Vous croisez les doigts pour que personne ne vous ait vu. Vous sentez la nervosité monter en vous.
Vous atteignez l’estrade. Elle est immense. Elle a été cirée récemment. Votre odorat est décuplé. L’odeur est particulièrement forte, entêtante. Vous entamez l’ascension des marches avec difficulté. L’escalier semble interminable. Jamais vous n’auriez pensé que cela puisse être aussi long. Le plafond qui, pourtant, devrait être bas vous donne l’impression d’être si haut, si impressionnant. Vous avez l’oppressante idée d’être dans une cathédrale. Les murs sont gigantesques. La délicieuse mélodie qui tintait à vos oreilles se tait. A la place, un immonde bourdonnement. Les cloisons de la salle forment une grosse caisse de résonnance. Il y a un écho infâme. L’attraction terrestre devient de plus en plus lourde. Les grandes enjambées qui vous exécutiez deux secondes plus tôt sont plus réduites, comme si un esprit farceur avait noué les lacets entre eux. Ce n’est vraiment pas le moment de vous étaler en public. Cela ferait mauvais genre. Vous vous efforcez de continuer en posant un pied devant l’autre, comme si vous marchiez sur une corde raide. Ce n’est qu’un instant de stress passager. Vous en êtes convaincu. Tout va se calmer. Vous accélérez le pas et avancez à la manière des fourmis, avec précipitation.
Vous faites face à l’assistance. Vous réalisez que de nombreuses personnes ont fait le déplacement. Vous n’auriez jamais pensé attirer autant de monde. Figés, vous scrutez les visages. Beaucoup d’inconnus, bien sûr. Vous en reconnaissez certains, dont un en particulier. Il s’agit de quelqu’un dont l’opinion compte beaucoup pour vous. Vous avez envie de l’impressionner, de marquer son esprit. Et si vous n’étiez pas à la hauteur ? Et si c’était un guet-apens ? Et si ça ne lui plaisait pas ? Un nombre incalculable de si se jettent sur vous. Ils vous entourent, sifflent autour de vous. Ils vous attaquent. C’est une agression selon leurs règles. Des règles que vous ne maîtrisez pas. Tout se brouille. Vous vous sentez glisser dans un autre monde. Avez-vous emprunté le chemin de traverse ? Vous avez l’impression d’accompagner Harry Potter dans l’une de ses aventures. D’ailleurs tout de déroule selon le mouvement angoissant de « Lumos » dans le début du troisième tome. Chacune de vos respirations est ponctuée par cette espèce de tintement anxiogène qu’on entend à la fin de chaque phrase de la mélodie. Tous les sièges sont occupés. Vous tremblez.
Courage ! C’est votre heure de gloire. Vous allez réussir. Vous ouvrez la bouche malgré le nœud qui se forme dans votre gorge. Et là ! C’est la catastrophe ! Aucun son ne sort. C’est le silence total ! Vous avez oubliez comment mettre en action vos cordes vocales. Des yeux sont braqués sur vous par quantités. Ils attendent votre prestation. Vous savez cette prestation pour laquelle vous êtes surentraîné. Cette prestation pour laquelle vous n’avez laissez aucun détail, excepté un. Mais ce n’est qu’une broutille. Avec votre excellente présentation, vos amis ont estimé que vous pouviez vous en passer. Vous n’avez pas préparé votre intervention pour faire face au public. Ce fait est tellement négligeable ! Vous vous êtes apprêté en conséquence. C’est ce qui compte. Pour le reste, cela doit couler seul sans effort. Pas besoin d’afficher le moindre effort. Vous saviez tout à l’avance de toute façon.
L’attente se fait de plus en plus lourde. Les battements de votre cœur s’accélèrent. La chaleur vous monte au visage. Votre teint passe par toutes les couleurs. Vous ne le voyez pas mais vous en êtes sûr. Vous vous sentez rétrécir à chaque goutte du temps qui s’évapore. La honte d’avoir négligé ce détail si insignifiant se fait sentir. Il faut que ce soit aujourd’hui que votre précieuse voix décide de prendre des vacances. Vous pensez : « Ô ! Rage ! Ô ! Désespoir ! ». Vous ne pouvez pas échouer maintenant. Quelques soupirs se font entendre. Il y a quelques gloussements également. Certainement de la part de jaloux qui rêvent de voir votre chute. Les larmes vous montent aux yeux. Vous êtes terrifié. Tous les regards sont braqués sur vous. Vous commencez à trembler.
Vous aimeriez que quelqu’un soit là, à votre place. Mais c’est impossible. Personne ne peut réaliser à votre place ce que vous devez faire. C’est votre préparation. Ce n’est pas sans compter sans votre volonté. On vous a toujours admirez pour cela. Ce n’est qu’un défi supplémentaire. Vous pouvez le faire. Vous en avez la force. Vous le savez. Mais cette boule dans la gorge est toujours là. Vous déglutissez. Vous forcez vos cordes vocales à vibrer. C’est pire ! Une espèce de gargouillis infâme agrémenté de couinement aigus s’échappe de votre bouche. C’est un mélange assez étrange. Il tient du cochon, de la chèvre et de la grenouille. Le public, spécialement venu pour vous, s’esclaffe franchement. Vous êtes carrément ridicule. Vous ne savez plus ou vous mettre. Vous avez envie de fuir. Vous vous liquéfiez. C’est l’humiliation suprême. Facebook, twitter, youtube et bien d’autres réseaux sociaux vont s’emparer de l’affaire. Cette ignominie va circuler au-delà de toutes les galaxies. Vous allez perdre tous vos amis. Personne ne voudra plus s’afficher avec vous. Sauf les fous, incroyablement loyaux.
Que faire ? Appeler un super-héros pour prendre votre place ? Appuyer sur le bouton marche arrière de la télécommande et tout reprendre à zéro ? Impossible ! C’est vous qui êtes là. C’est vous qui êtes la risée de l’événement. Les battements de votre cœur s’accélèrent, à nouveau. C’est un véritable orage, comme si vous étiez en plein concert de Hard Rock. Vous êtes encerclé par une foule en délire qui hurle en même temps que le groupe officie. Le volume des rires s’amplifie. Vos veines agissent comme de véritables percussions. Les flashs vous aveuglent, à moins que ce ne soient les projecteurs du concert. Vous perdez pied. Comment réagir à pareil situations ? Vous ne l’aviez absolument pas prévue. Elle ne faisait pas partie du script établie par votre monde imaginaire. Vite ! Appelez la brigade des rêves pour venir à la rescousse. Provoquez un incendie, une autre catastrophe. C’est la fin du monde pour vous.
Le séisme, provoqué par toutes ces émotions qui s’entrechoquent avec tant de violence, semble ouvrir le sol sous vos pieds. Enfin un véritable tremblement de terre a décidé de vous venir en aide. Vous allez disparaître. Enfin ! Déjà vous visualisez la lave grondante et bouillonnante qui va, enfin, vous happer et vous entraîner dans son courant infini. Peut-être pourrez-vous vous échouer, enfin,  sur une île déserte au lieu de vous noyer dans cet océan en furie ? Et, enfin, vous pourrez vous cacher, vous morfondre et laisser cette honte loin de vous. Vous aimeriez tellement vous blottir sous votre couette et pleurer toutes les larmes de votre corps sur cette lamentable défaite. Rien de tout cela n’arrive. Les secondes semblent s’étirer, prolongeant avec plaisir votre torture. Elles font preuve d’un sadisme hors du commun. Qu’avez-vous faire pour provoquer ainsi la fureur de Chronos en personne ? Le sort aurait brusquement décidé de s’acharner sur vous après vous avoir octroyé quelques lueurs de célébrité. Mentalement, vous récitez n’importe quelle prière qui pourrait vous venir à l’esprit. Vous êtes perdu dans ce flot continue moqueries que vous percevez comme des coups de poignards dans le cœur.
Puis, dans un sursaut de dignité, vous tentez de vous ressaisir. Il est hors de question qu’on vous connaisse sous la réputation de la personne qui s’est ridiculisée en public par un affreux bruitage. Vous ne voulez pas être cette personne qui s’est enfuie à la première difficulté. Vous refusez cette défaite, parce que pour vous s’en est une. Parmi ce concert d’affreux caquètements, vous percevez une petite voix, une seule, qui vous murmure que tout va bien. Après tout, rien ne peut empirer. Vous venez de toucher le fond. Et c’est votre moment. Il vous appartient. Vous pouvez en faire ce que vous voulez. Vous pouvez même jouer de la trompette avec un harmonica si ça vous chante. Vous êtes là. Mieux vaut en profiter, une telle chance ne se renouvellera pas. Il y a une solution pour ne pas perdre la face. Vous en êtes sûr. Il suffit de la trouver et vite. Le temps presse. Vous avez déjà trop tardé. Des heures incalculables ont déjà dû partir. Des gens importants, et impatients, ont sans doute quitté la salle. Et très certainement les médias venus pour vous honorer. A la place, ils vous utiliseront pour les jeux du cirque.
Lentement, très lentement, vous parvenez à retrouver un rythme de respiration presque normal. Vous fermez les yeux quelques secondes pour oublier l’apocalypse qui s’étend devant vous. Vous interdisez l’accès de tous ces sons discordants à vos oreilles. Vous faites le vide. Vous cherchez avant tout à vous détendre. Mentalement vous trouvez ce fameux bouton marche arrière pour réécrire la bande vidéo comme vous l’entendez. Vous vous positionnez fermement face à votre public. Vous ancrez vos pieds sur le plancher. Vous visualisez une image relaxante. L’air de la comtesse dans l’acte III de l’opéra « Les noces de Figaro », par Mozart, surgit de nulle part. La douceur des notes, l’harmonie des paroles, qui délivrent un message bien mystérieux pour vous, coulent en vous. Vous vous concentrez sur cette harmonie précisément. Vous repensez à l’histoire de ce compositeur. Vous avez l’audace de vous comparer à lui. Pour lui non plus, ça n’a pas été facile. Il a dû lutter pour faire reconnaître et accepter la totalité de son talent. Et maintenant, bien après sa mort, son œuvre vit toujours. L’époque n’est pas la même. Vous avez plus de chance que lui. Vous en prenez conscience.
Petit à petit, vous visualisez le chemin parcouru pour en arriver là. Vous avez beaucoup donné de vous-même. Vous ne comptez plus les sacrifices. Vous vous souvenez de tous les ajustements que vous avez dû effectuer pour en arriver là. Vous avez travaillé. Vous avez accepté de nombreuses critiques. Vous vous êtes investi pour progresser dans votre tâche. Combien de fois avez-vous voulu tout abandonner ? Vous vous êtes accroché. Vous n’avez jamais renoncé. Ce grand moment qui paralyse est la consécration de tous les efforts que vous avez fournis. Vous méritez un peu plus de considération. Vous devez prouver qu’on a eu raison de vous faire confiance. Vous avez déjà franchi tellement d’obstacles. Cette déconvenue n’en est qu’un de plus et vous allez le dépasser comme d’habitude. En général, vous régissez bien mieux que cela à la pression. Quelque chose vous bloque, vous gêne. Vous ne parvenez pas à l’identifier pour le combattre.
Vous revoyez aussi votre film idéal que vous auriez aimé connaître et le comparez à la scène présente qui se déroule sous votre propre regard. Ce film devient bien terne à côté du scénario que vous vivez. Celui-ci est bien plus riche en émotions. Ce sera un souvenir inoubliable. Vous pourrez le raconter plus tard et vous créer un petit succès. Très peu ont réussi à atteindre l’étape où vous vous trouvez actuellement. Vous pourrez au choix édulcorer la situation ou la rendre dramatique. Vous pourrez toujours vous vanter d’être allé au-delà de vos espérances. Il faut l’avouer. Quand vous avez reçu ce fameux appel, vous aviez baissé les bras depuis longtemps. Si vous persévériez, c’était uniquement pour votre plaisir. Bien sûr, il y avait ce petit espoir. Mais ça a toujours été votre technique pour avancer. S’accrocher à une part d’impossible a toujours été une force chez vous. Elle vous a permis de vous dépasser. Vous aimez les défis, ils vous aident à grandir et à vous dépasser pour trouver des solutions, à chaque fois plus créatives. Les mauvaises surprises ne vous ont jamais effrayé, alors pourquoi maintenant ? La vie est trop courte, pour des regrets stériles qui interdisent d’aller plus loin.
Tout doucement, à force de vous raisonner, d’envisager de multiples possibles, d’analyser le drame dont vous êtes le héros ou l’héroïne, vous apercevez le comique de la situation :
  • Vous, de votre pas assuré, fier, toisant une assistance prête à entendre une voix puissante, envoûtante.
  • Puis un minable couinement. Sans doute des gestes désordonnés. Votre démarche était peut-être déjà ridicule. Réflexion faite, elle l’était, surtout avec l’épisode de l’étiquette.
Vous ne résistez pas. Vous êtes pris d’un immense fou rire. La pression se relâche. Vous pouvez enfin réaliser votre prestation dans la bonne humeur. Vous parvenez à maîtriser à grand peine les tremblements de votre voix. Vous vous êtes senti si seul. Vous sentez que vous intéressez votre auditoire. Il est accroché à vos lèvres. Vous le captivez malgré vous. Vous vous exprimez. Vous vous laissez entraîner par votre passion. Tout doucement, sans vous presser vous prenez de l’assurance. On vous écoute réellement. Quelle victoire ! Vous prenez même du plaisir. Vous vous amusez. Mais quelle angoisse tout de même. Vos jambes en tremblent encore. Vous ne pouvez décemment pas parler d’un franc-succès. Mais c’est déjà un bon début. Vous avez reçu quelques félicitations. On vous a même posez des questions.
Vous ne savez pas ou cela va vous mener. Vous finissez comme un automate. Toutes vos réactions sont mécaniques. Vous sortez grandi de cette expérience assez rocambolesque au final. Vous prenez conscience que vous en avez trop voulu tout de suite. Vous vous êtes précipité sans réfléchir vraiment. Vous avez commencé par vous contenter de rêver sans chercher à vivre vraiment ce rêve. Dorénavant, à l’image de la famille tortue, vous cesserez de courir après les rats et prendrez le temps de faire les choses dans l’ordre. C’est ce que vous vous promettez en étant persuadé qu’il n’y aura pas de prochaine fois. Vous êtes également un peu en colère contre vous. Vous avez consenti à écouter vos amis et à faire négliger ce qui pour vous a toujours été le plus important. Vous aviez tant envie de plaire. Quand ils ont décidé de vous prendre en charge, qu’ils ont décidé de mettre en avant votre présentation physique, vous auriez dû refuser. Ils ne vous ont laissé aucun répit, pas une seule seconde pour vous préparer concrètement. Tout ce qui comptait, c’était que vous ne leur fassiez pas honte. Ce principe de se reposer uniquement sur l’apparence a toujours été une aberration pour vous, et pourtant vous vous y êtes soumis, au détriment de la véritable performance. Eriger en absolue nécessité le besoin de certains de passer trois heures à se préparer vous a, de tous temps, dépassé. Etre propre et coiffé correctement pour se présenter en public est normal pour vous, mais pas plus. Votre euphorie d’avoir été choisi vous a fait oublier ce principe qui est devenu une simple théorie philosophie et cela vous a coûté votre image de respectabilité. Vous en êtes convaincu.
Vous rentrez chez vous. Vous êtes vidés. Vous n’avez plus aucune énergie. Vous n’avez plus la force de sourire ou de parler. Qui pourrait vous en vouloir ? Vous avez énormément donné pour ne pas perdre la face. Vous y êtes vaguement parvenu. Vous avez remporté une victoire sur vous-même. En arrivant chez vous, vous envoyez valdinguer vos chaussures qui vous font mal au pied. C’est le dernier acte énergique dont vous êtes capable. Vous ne prenez même pas la peine de manger ou de vous changer. Vous vous affalez dans votre lit, épuisé. Vous sombrez dans un sommeil profond, sans rêve. Vous ne voulez plus vous souvenir de cette horrible journée. Selon vos critères, cela a été un véritable fiasco. Certes vous avez réussi à éviter trop de casse mais vous n’avez pas été « pro ». Vous n’avez rien assurez du tout. Vous avez seulement subit un enchaînement étrange qui vous échappait. Rien de plus. C’est dans cet état d’esprit que vous vous laissez aller dans les bras de Morphée. Puis vous reprenez le cours de votre vie, comme si de rien n’était. Vous rejetez loin de vous votre mauvaise aventure. Vous décidez de l’ignorer. Mais est-ce si facile ?
Quelques jours plus tard vous y repensez. Cette expérience, bien que laborieuse, s’avère instructive. Votre travail a été reconnu et vous avez pu établir quelques contacts. On sait ce que vous êtes capable de produire. Plus important encore, vous connaissez vos capacités d’adaptation. Vous possédez un courage que vous ne soupçonniez pas. On vous en a fait la réflexion après votre prestation. On a admiré votre ténacité. A votre place, un grand nombre se serait enfui en larme face à un début de fiasco pareil. Vous êtes resté jusqu’au bout. Vous ne vous êtes pas laissé démonter par le stress et les imprévus. Tout ce que vous avez réalisé, vous le devez à vous-même et à personne d’autre. Absolument personne ne peut vous reprocher vos erreurs. La seule que vous ayez commise c’est de vous être laissé entraîner par vos proches dans une attitude qui ne vous appartient pas. Vous avez accepté un costume qui n’est pas le vôtre, celui d’adorable pantin souriant.
Et surtout, vous vous apercevez que ce vide qui vous a submergé n’a pas duré. En l’espace de très peu de temps, vous avez affronté une tempête que vous n’auriez jamais imaginez. A aucun moment vous ne vous êtes noyé. Vous comprenez que vous avez quelque chose à transmettre. Alors, vous décidez de prendre votre plus belle plume, d’aller chercher vos mots les plus extraordinaires, de composer la meilleure harmonie de phrases et de raconter votre folle aventure. Vous devenez, malgré vous, héros ou héroïne d’une histoire que nous pourrions tous vivre. Vous vous remettez à faire d’autres rêves. Votre succès personnel vous donne des ailes. Il vous rend encore plus ambitieux. Vous vous imaginez un nouveau scénario. Vous êtes tenté d’en rajouter. Et surtout, vous n’oubliez pas que le ridicule ne vous a pas tué et que ce qui ne tue pas rend plus fort.
 

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